L'Univers de Dune est un Univers esthétique : les planètes, les Navigateurs de la Guilde, les sorcières de l'Ordre, les Fremen. Et ceux-ci sont, pour l'époque, un peuple original : qui, pour survivre, a associé, à des mesures techniques nécessaires et efficaces (le recyclage de l'eau corporel propre à chaque individu), à un messianisme d'inspiration musulmane, avec le Djihad, la guerre sacrée. Et loin d'être si originaux qu'ils en seraient incompréhensibles ou peu intéressants pour nous, ces Fremen sont pertinents dans leur rapport méthodique et infiniment respectueux avec l'Eau. Et si nous apprenions ce sens de l'infinie valeur pour la vie, de l'eau, alors que notre planète est la seule à en disposer dans des quantités phénomènales - mais nous lui portons tellement de torts... Lynch, cinéaste-artiste (on devrait créer le syllogisme cinéartiste), qui, aujourd'hui, peint des tableaux comme s'il était un Cooper encore enfermé dans la Black Lodge, a vu cet Univers, et, avec les moyens dont il disposait, il nous a offert des tableaux-scènes, pour certaines, inoubliables, magnétiques. Les navigateurs de la Guilde, des mutants épicés (devenus des cerveaux géants), ont encore un sens : à une grande échelle, le corps humain est susceptible de connaître des évolutions assez radicales en fonction de ses conditions, de ses pratiques. Ils ont un rapport direct avec l'Espace : leur conscience est capable de modifier l'espace-temps pour accélérer des voyages. Et pour nous, ce rapport à l'espace-temps a beaucoup de sens, parce que nous sommes travaillés par ce rapport. Kyle MacLachlan est une découverte, confirmée depuis : ses expressions faciales, son expression vocale, ses regards, correspondent à ce qu'un Paul charismatique est censé être - et on peut craindre que pour Chalamet, la comparaison sera un supplice. Mais il y a aussi Brad Dourif (!), Sting (sous employé, hélas !), Max Von Sydow, Jürgen Prochnow, Kenneth McMillan, parfait Baron. Apparemment, Villeneuve a choisi des cadors pour qu'ils ne souffrent pas de comparaison (à l'exception donc de ce Chalamet dont beaucoup s'inquiètent de l'absence d'épaisseur). Il faut voir la version longue, parce qu'on mesure à quel point les coupures de De Laurentiis ont modifié le récit, la cohérence, pour une mesquine volonté d'économie (quel sens peut avoir cette intention quand on s'est engagé dans un projet qui en soi représente un engagement qu'il faut faire, comme Lynch, à fond ? !). Comme le disait logiquement Nietzsche : deviens ce que tu es. La période la plus intéressante du film réside donc lorsque Paul et sa mère quittent la cité d'Arrakeen pour être envoyés à la mort, dans le désert, et que, grâce à "la voix", Paul parvient à prendre le contrôle d'un des pilotes Harkonnen, et, après l'avoir éliminé, celui du vaisseau. Parvenus dans le désert profond, ils sont dans Arrakis : une planète de sables (et, heureusement, de rochers), où les Vers traquent les ondes de surface. Apparemment, Villeneuve a compris les potentialités esthétiques de ces Terres de désert, mais aura t-il réussi à créer des images, pour nous, jouissives ou... ? A voir. Ensuite, il y a cette technique qui fait appel au son pour frapper et tuer. Cette technique, mentale/vocale, est issue de la Méditation - et Lynch est devenu un sincère, militant, de la Méditation Transcendantale. Autrement dit, que cela soit avec "Twin Peaks", comme avec "Dune", Lynch a un rapport personnel avec des éléments de ses/ces récits, ce qui est, à priori, assez unique, par comparaison avec des réalisateurs qui font des films/projets ("c'est notre proooojjjjjeeeeetttt !!!). Si Lynch avait pu faire "Dune" maintenant, avec les moyens techniques de notre époque et avec des moyens financiers à la hauteur, il aurait fait un film... "fantastique". Il eut été malin, de la part de producteurs, de le lui proposer, plutôt qu'à Villeneuve, même s'il aurait fallu se creuser la tête pour le convaincre. Un peu d'Epice y aurait aidé ? ! Là encore, alors que nous voyons tant d'êtres humains se satisfaire, à grand bruit, des limites de leur conscience, l'Epice, elle, comme avec ces substances psychédéliques des années 60/70, parvient à étendre son champ, à mieux percevoir, et y compris, à "voir", le "Destin". Et si, pour parler comme Rimbaud, les "élus" de nos cités avaient l'ambition d'être des "voyants" ? Au contraire, nous entendons un rire mauvais à être un aveugle qui, dans un jeu de quilles, fait tout tomber. Là, les "nobles" dirigeants sont à la hauteur de leur "noblesse". C'est un récit qui donne de l'espoir : nous ne sommes pas condamnés aux médiocres ou, pire. Mais il faut et regarder loin, et développer ses forces.
Un média culturel national a publié, sur son réseau social, un article concernant la situation actuelle, afin d'évoquer celle, particulière, de l'Allemagne, et, à l'occasion, énoncer un nouvel éloge de la "Sainte Famille" germanique, avec laquelle, une fois de plus, moyens et résultats seraient, par comparaison, meilleurs que ceux de a France, et dont une part reviendrait aux compétences et aux choix de la Chancelière en poste. Comme il va de soi sur un réseau social, des commentaires se sont multipliés, et un énième choeur "français" pour chanter "le génie de l'Allemagne" s'organisa et entonna l'Hymne ! Comme on sait, les membres d'une chorale sont si heureux de chanter que celui qui ose parler en même temps, pour, en plus, exprimer un avis sensiblement différent, pour tempérer cet enthousiaste, voit sur lui regards courroucés et des vitupérations tombées, résumées par un : vous êtes un germanophobe ! Autant dire que si vous n'êtes pas aussi et comme eux, germanophile, vous êtes donc... phobe. Comme si, entre l'extrême "philie", aveugle, et l'extrême phobie, imbécile, il n'y avait pas bien plus de 50 nuances. Il faut dire que, comme quelques auteurs l'ont remarqué, qu'il s'agisse de notre temps présent ou d'une époque antérieure, il y a, dans ce pays, un culte à la Germanie, une manie de la Germanie, qui serait un "modèle", qu'il faudrait suivre, imiter, impérieusement, pour être aussi impériaux que nos cousins le sont devenus. De l'Empire "napoléonien", français, nous serions passés à un "Empire" allemand, sur l'Europe, qu'il faudrait saluer, accompagner, auquel il faudrait contribuer, auquel il faudrait... collaborer. Comme l'Empire napoléonien était contraire et à "la Déclaration des Droits de l'Homme", au respect des peuples et des personnes ET aux intérêts français (le retour de bâton de l'aventure impérialiste aura été une longue nuit monarchique/autocratique, jusqu'en 1871, prolongée par une III République qui en prolongera la volonté), la puissance allemande, actuelle, en Europe, via l'UE, est un nouvel "impérium" problématique, d'autant que, comme tous ceux du passé, ce qu'il met en valeur et ce qui le met en valeur dissimulent des problèmes graves. En être conscient, les évoquer, en parler, les analyser, les critiquer, n'induit en rien une hostilité ou une haine envers l'Allemagne. Sinon, celles et ceux qui ont pu résister dans le passé à un autre projet impérial allemand auraient pu être aussi traités de "germanophobes", mais pour cela, encore eut-il fallu que les acteurs, les chantres, allemands, de ce nouveau projet soient à eux seuls l'Allemagne, alors que nous pouvons penser qu'ils en furent, au contraire, une négation. Mesurer, exactement, ce que fut, ce qu'est, cette Histoire, de l'Allemagne, c'est donc un impératif catégorique de cette conscience qui doit savoir, ce qu'il en est, et non se raconter des chansons. Est-ce que la gestion, en Allemagne, de la crise, dite du Covid-19, est, bien meilleure que celle de la France, supérieure, voire parfaite ? Ou s'il y a des réussites, y a t-il des échecs et des difficultés ? Quel est le système national allemand, concernant la prise en charge des personnes souffrantes, malades ? Et ce souci gouvernemental allemand pour les personnes malades, souffrantes, est-il le marqueur d'une politique générale philanthropique ? D'un côté, nous entendons les chants/voix de ces idéologues de "Deutschland Uber Alles", comme ici, et ici, nous pouvons lire le témoignage très critique d'un médecin allemand. Ici, un contributeur de Médiapart écrit : "Pourtant un petit hebdomadaire Berlinois « Der Freitag » qui comme son nom l’indique parait le vendredi, publie sur son site en ligne, ces derniers jours, des articles qui ne décrivent pas un système de santé en très bonne forme. Lé dérégulation néolibérale depuis 30 ans du système de santé, soumis aussi à une version de tarification à l’acte et à des restrictions budgétaires, à eu pour conséquences la faillite de nombreux hôpitaux communaux, rachetés par de puissants groupes privés, si bien que la part des cliniques à but lucratif est passé en 25 ans de 15 à 30 pour cent et plus de l’ensemble du système hospitalier. De plus, le système d’assurance sociale et de santé Allemand est binaire. Il y a d’un côté le régime général pour la grande majorité des Allemands (Allgemeine Krankenkasse) et un système privé (Privat Patient) donnant à ses affiliés (Professions libérales et CSP+++) une priorité dans l’accès aux meilleurs soins et dans le plus grand confort." Donc, les dirigeants allemands auraient clairement fait le choix de l'inégalité : un hôpital public low-cost, et des hôpitaux privés, qui assurent une médecine de haut niveau, mais pour une minorité. Une fois de plus, on comprend pourquoi quelques Français "germanophiles" ont tant de facilité à déclarer leur flamme à cette Allemagne. Nous, comme dans le passé, c'est une autre Allemagne que nous aimons, d'autres Allemands que nous aimons. On n'est pas germanophobe parce que nous n'aimons pas l'Allemagne de Mme Merkel et consorts, on est germanophile parce que nous ne nous laissons pas et ne laisserons pas imposer que cette Allemagne de Mme Merkel et consorts soit, à nos yeux et pour le reste du monde, toute l'Allemagne, parce que nous savons que nous pouvons attendre, d'un pays où il y a tant d'entendements brillants, une autre, politique, d'autres choix.
Dans "Le Silence de La Mer", le monologue de l'officier allemand, apparemment "francophile", reste un monologue - les Français qui l'écoutent ne lui répondent pas. Aujourd'hui, nous pourrions faire la liste de ce que, dans l'Histoire, la culture, allemandes, nous aimons, nous lisons, nous écoutons, nous respectons. Mais, à aucun moment, nous ne confondrons un penseur de langue allemande, comme Einstein, avec un chancelier/une chancelière, dont les principes et les choix politiques ne sont pas admirables. Le premier aura toujours nos applaudissements, les seconds auront toujours nos critiques.
S'il y a bien un fait que la pensée politique historique a ignoré ou méconnu, c'est que ce qu'elle a appelé, la cité, l'Etat, le pouvoir, l'intérêt général, etc, s'est structuré dans l'Histoire par la présence, l'exploitation, des animaux, des corps des animaux. Et s'il y a une spécifique positivité à la pensée politique du monde actuel, quelles que soient ses éléments, ses contradictions, ses conflits, c'est, dans la prise en compte de ce qui se nomme généralement, "l'écologie", l'environnement, la conscience que toutes les cités humaines se forment dans un détachement de cette matrice matérielle globale tout en dépendant radicalement d'elle, est devenue la conscience humaine, qu'elle soit superficielle ou profonde. Plusieurs milliers d'années après les débuts de l'Histoire humaine, après l'apparition de l'écriture, cette conscience qui se forme et se forge, en raison des nécessités, vitales, économiques et sociales, est donc le témoin de l'extrême lenteur de la conscience humaine, dès lors qu'il faut prendre en compte, assumer, des vérités, douloureuses, voire, insupportables. Un certain comportement humain (qu'il faut se garder d'identifier avec celui DES humains, puisque des peuples, des civilisations, ont récusé les chemins suivis depuis par d'autres) est devenu celui d'un super-prédateur, exploitant tout ce qui est possible, détruisant beaucoup. Ce comportement, comparable à celui d'une machine ou d'un robot, a atteint, avec le développement démographique planétaire, une telle puissance d'effet(s), que les "ressources" sont menacées de disparition, directement ou indirectement. Autrement dit, pour un bénéfice immédiat, la dite conscience est inconsciente, incapable de s'arrêter, et, ici ou là, elle a provoqué la disparition définitive d'une espèce vivante, ex. Entre temps, et ce pendant des siècles, la pensée humaine de cette vitalité terrestre, des animaux, de leur conscience, de ce que sont leurs corps, est elle-même restée superficielle, souvent bloquée par des apories, des dogmes. L'alliance de ces superficialités a donc rendu possible cette convergence vers et pour le pire. C'est la science des maladies qui a établi, il y a peu, que les principales épidémies/pandémies les plus mortelles ont entièrement dépendu de la proximité entre des Humains et des Animaux. Le nouveau Sars-Cov-2 nous assure une "continuité pédagogique" en la matière.
C'est qu'il y a un vrai refus, globalisé, humain, de ne pas, manger des animaux, tuer des animaux, exploiter des animaux - et une certaine politique, économie politique, répondrait même que c'est une nécessité, que la balance entre les désavantages et les avantages pèse du côté de ces derniers. Mais si nous nous entêtons à vivre sur le dos des animaux, dans une proximité aussi importante, des espèces n'y survivront pas, et nous n'y survivrons pas, le jour où un virus mutant particulièrement terrible pour nous nous décimera. Pour la protection des espèces COMME pour la protection de l'espèce humaine, nous recevons une leçon de vie : il faut prendre de la distance avec le monde vivant, pour le laisser être, le laisser vivre, lui permettre ainsi de durer. Parce que, comme nous l'avons déjà dit (notes antérieures), et comme d'autres l'ont aussi déjà dit, nous agissons à l'égard de tant de formes de vie comme ce virus que beaucoup maudissent. Il est un miroir, et ce qu'il montre est monstrueux. Or, étant donné que cette exploitation animale par l'humain est si central dans les éco-nomies, cette mise à distance ne deviendra effective que par une politique qui, à certains, sera imposée, puisqu'ils ne l'accepteront, ni dans son principe, ni dans son fait. Quant à cette mise à distance effective, ce qui s'appelle une nouvelle politique et une nouvelle économie, leur conception et leur mise en place seront complexes, difficiles.
Depuis deux décennies, les chaînes de télévision ont multiplié la production et la diffusion de séries télévisuelles centrées sur des métiers de la vigilance et de l'intervention concernant l'état et la santé des citoyens, des corps. Par exemple, nous avons assisté au glissement du principe de la série télévisuelle, l'enquête, menée, classiquement, par des détectives ou des policiers, vers des agents, maîtrisant diverses techniques, appelés avec exagération, "scientifiques", mais faisant appel à des connaissances scientifiques. Dans ce rapport entre la vie et la mort, des individus, des individus vivants à l'égard de celles et ceux qui perdent la vie, les professionnels des hôpitaux étaient, sont, des figures nécessaires. On sait que des séries, comme l'actuelle et déjà ancienne "Grey's Anatomy", ont connu un succès durable, avec des "saisons", des personnages permanents, des intrigues qui associent les sentiments de ces personnels avec leurs activités, leurs réussites, leurs échecs. Des actrices, des acteurs, de ces séries sont devenus des "stars" mondiales, comme Ellen Pompeo. Cette "starification" des actrices et acteurs est un phénomène général. Mais voilà : un virus mondialisé démontre, le plus simplement du monde, que ces actrices et acteurs imitent les véritables "performeurs", les infirmières, les chirurgiens, l'ensemble de celles et ceux qui maîtrisent une spécialisation, quelle qu'elle soit (les agents de la propreté assurant une activité fondamentale pour le bien de tous). Cette situation illustre parfaitement ce qu'exprime l'analyse, critique, platonicienne, de la "mimesis", et notamment d'une certaine "mimesis" artistique. Cette analyse, critique, devient limpide : les acteurs qui interprètent des professionnels de ces soins et interventions sur les corps des citoyens, les imitent. Ils ne sont pas ces mêmes professionnels. L'imitation a du sens (beaucoup), mais le plus important réside dans le modèle (l'activité). Platon constate que, logiquement, sérieusement, il n'est pas possible de préférer la copie au modèle. Mais, si un certain type d'Art prend une importance, et ce en liaison avec l'état d'une "cité", cette préférence pour la copie sur le modèle peut se manifester et se solidifier. Mais lorsque le sérieux de la vie intervient, la copie s'efface devant le modèle. Contrairement à un mythe politique moderne, le travail ne disparaît pas et ne devient pas secondaire. Actuellement, l'ensemble des confinés peuvent l'être parce que d'autres travaillent. Ils sont des millions. S'ils méritent, maintenant et après, des applaudissements, il faudra voir si le monde d'après acceptera de revoir l'échelle des - valeurs, salaires. Pour cela, il faudrait que l'activité d'autres médecins soit à l'ordre du jour, effective, perceptible, entendue. Not wait and see.
L'Histoire officielle du Cinéma en France compte un petit siècle d'existence. Au regard de l'Histoire humaine, de l'Histoire des techniques, une telle durée est faible. Mais l'Histoire du Cinéma est plus longue parce qu'elle s'inscrit dans l'Histoire de la représentation. Ce n'est pas un hasard si, au terme d'un siècle déterminé à représenter tout et tous, par, "la littérature", "la peinture", les sciences, le Cinéma est devenu l'enfant de ce Désir. De France, l'écriture du mouvement, comme l'étymologie l'exprime, commencé dès Lascaux, a permis à des actrices, des acteurs, des scènes, de devenir des figures de la mémoire vivante, avec des images comparables à des tableaux. Il y a des oeuvres d'art, à la fois, en tant que films, mais surtout, en tant qu'images, spécifiques, dans tel ou tel film. Il y a des iconiques devenus "idoles". Mais cette Histoire n'est pas simplement celle d'un déploiement quantitatif et qualitatif, à l'instar du progrès des techniques, de la qualité des images. Il y a eu des progrès et des régressions. Un moment clé dans l'Histoire du cinéma en France aura été quand et comment il est passé sous le contrôle d'une autre instance de la Représentation, la Télévision, au début et milieu des années 80. A partir de cette période, où ce choix fut aussi dicté par, officiellement, la volonté de protéger le cinéma en France par des dotations financières garanties, la production, de son amont à son aval, a fait l'objet d'un contrôle, bureaucratique, parisien, "social", de plus en plus puissant. Les films originaux de la période antérieure sont devenus impossibles. La "modélisation", par genre, s'est imposée. Des petites sociétés de production, des "indépendants" ont réussi à soutenir, à faire diffuser, des films que les fourches caudines nationales auraient, à priori, ou en cours, refusé, rejeté. Mais, avec le temps, ces petites sociétés de production sont devenues, deviennent, de moins en moins nombreuses - mais encore, elles existent, et réussissent, comme l'illustre cette année, "Les Misérables", par exemple (SRAB Films). Le contrôle du Cinéma par la Télévision a pris corps en devenant le principal canal de diffusion (l'apparente gratuité de la diffusion, en fait, financée par la publicité, qui, de plus en plus, s'impose en amont et pendant la diffusion d'un film), par la gestion de plusieurs événements, comme "les César". Et, placé sous cette tutelle, le Cinéma français a subi un enrégimentement total et violent. La "fête du milieu du Cinéma" est devenu une cérémonie de remise de prix, guindée, où le temps consacré aux prix, aux nominés, aux films, est ridicule. Résultat : la cérémonie est a-cinématographique (elle pipeulise, les films y devenant même absents !), anti artistique (les "animateurs" étant des chauffeurs de salle de Club Med), et antisociale, dans la mesure où ce dont parlent ces films que les citoyens sont allés voir est interdit d'explicitation et de débat. Des catégories sont même particulièrement maltraités : les scénaristes, et, notamment, les auteurs/écrivains (des récits et des dialogues !), et les "intellectuels", sont, comme on le dit en ce moment, invisibilisés. Invisibilisés : donc, interdit d'être représentés, lors d'une fête de la Représentation, artistique. Pourtant, ce fut un des sujets de cette cérémonie #2020 : les femmes et les hommes qui ne sont pas blancs, des faits sociaux majeurs sur lesquels les responsables auraient préféré qu'il y ait une chape de plomb, afin d'en rester aux abstractions habituelles, avec "la liberté des artistes". Mais on le voit : l'invisibilisation va bien au-delà de celle qui est énoncée, narrée, expliquée. Le contrôle de la production assure déjà une large invisibilisation : des populations (les travailleurs, les poètes, les "fous", les animaux !) et des faits sociaux restent interdits de. Evidemment, si le Cinéma, officiel, bloque, les moyens autonomes de représentation ont pris le relais, prennent le relais. Mais, qu'ils existent, et que ce que tant voudraient faire taire, ignorer, se dit, se montre, est entendu, justifie t-il que le Cinéma en France, continue, comme en 40 ? ! Avec cette cérémonie, le plus étonnant n'est pas qu'elle se soit terminée en eau de boudin comme elle s'est terminée, mais qu'elle ait eu lieu, sans qu'il y ait eu de révolte et de prise de parole. Il faut dire que, très certainement, une telle révolte aurait conduit à ce que la retransmission soit coupée. Mais au moins, il y aurait eu, l'événement. S'agit-il d'une première étape ? Reprendre la main, collectivement et clairement, sur le Cinéma, en tant qu'Art, permettrait enfin de penser à ce que pourraient être des Visions pensées, pensantes, reliées aux désirs, rêves, collectifs, publics. Il serait ainsi possible d'articuler réalisme et fantastique, qu'il s'agisse d'évoquer du non-conscient que de proposer le chemin vers une u-topie. Via la recomposition du CA de l'Académie des Césars, le monde du Cinéma et les citoyens ont l'occasion de penser et de décider les principes, les formes, de son organisation, de ce qui, demain, pourra être projeter. C'est qu'il faut sortir de l'infantilisation, de la domination financière, du cynisme, de tout ce que cette réduction de la Représentation, tant dans ses conditions que dans ses oeuvres, provoque. Il s'agit de penser pour créer, pour les décennies qui viennent, à long terme, sans se soucier du petit lendemain faussement narré par celles et ceux qui répètent l'écume des choses, 24 heures sur 24. Proposition est faite à Pacôme Thiellement : que cette fête annuelle du Cinéma en France soit poétique ! ou polétique !
Cette note n’est pas un compte-rendu, un résumé, de « Trois essais sur Twin Peaks », mais un dialogue avec ce texte, le propos de Pacôme Thiellement. Pacôme est LE spécialiste, en France, de l’oeuvre, cinématographique, télévisuelle, donc, représentative, de David Lynch, et, singulièrement, de la série «Twin Peaks», de laquelle il fournit, dans ses textes comme dans ses entretiens publics, des clés. S’il s’agit d’un «dialogue», c’est que, à partir de son propos, écouté, entendu, il y a des réponses, qu’elles soient absolument affirmatives, ou interrogatives, notamment parce que la logique d’interprétation de l’oeuvre diffère. Dans cette note, vous ne trouvez pas un résumé du propos de P.Thiellement, pour de nombreuses raisons, à commencer par le fait que chacun est invité à découvrir par lui-même le propos complet et précis. P. Thiellement est un travailleur de la Culture, de celle qui est désormais la plus partagée (la «télévision», admirablement définie dans ces pages, en tant que «lieu d’envoûtement et d’empoisonnement psychique» ou «réceptacle de magie noire le plus puissant» de notre époque), à celle qui se tient dans l’ombre du Temps, qu’elle soit volontairement occultée ou non, mais qui a conditionné, conditionne encore, ce que nous pensons, concevons, souvent, dans l’inconscience la plus impressionnante et déterminante. En tant que travailleur de la Culture, mondiale, et notamment celle que nous appelons «occidentale», Pacome Thiellement a perçu, compris, la puissance d’une «tradition», le Gnosticisme, méconnue ou pire encore, alors qu’elle se trouve au fondement de la genèse du Manichéisme, dans l’Antiquité, en tant que tournant historique fondamental, cercle vicieux dans lequel nous sommes encore situés. Dans une conférence donnée sur le thème «Monothéisme & Manichéisme» publiée dans cet ouvrage, nous avons rappelé : «Pour une humanité qui ne se conçoit pas encore comme Une humanité, au sens où elle penserait une unité de la Diversité, des origines, des peuples, la Diversité est le fait structurel de la vie, et le Divin est nécessairement une pluralité de Formes autonomes, les Dieux, les Déesses. Le polythéisme est donc l’expression la plus immédiate et universelle de cette représentation et de ces cultes. Il n’a pas du tout disparu. Tout d’abord, parce qu’il existe des peuples qui sont toujours, officiellement, polythéistes, pensons aux Hindous qui honorent des Dieux et des Déesses dans leurs temples en Inde, aux peuples premiers qui vivent, survivent encore, qui sont à la fois animistes et polythéistes, mais on pourrait également dire que l’Humanité est polythéiste, par le fait même qu’elle croit/vénère en des formes divines différentes. De ce point de vue, on le sait, ou on devrait le savoir, les Grecs et plus encore les Romains, colons de nombreux territoires qui se trouvaient en périphérie, proche ou lointaine, de leur territoire propre, avaient de la curiosité et du respect pour les autres cultes, qu’ils décidaient parfois d’intégrer à leur propre Panthéon. Si l’Empire Romain avait été à l’origine de la conquête des Amériques, au 15ème siècle, on peut penser que le Panthéon Romain se serait enrichi des Dieux Incas, Aztèques, Toltèques… Dans un tel cadre culturel et historique, le monothéisme est une réduction étrange, une valorisation de l’Unique-Unité. C’est ainsi que, pour le mono-théisme, quand il est vraiment mono-théiste, que je définis et définirai celui-cela que beaucoup appellent «Dieu», à savoir un seul, et un être qui est hautement un être, parce qu’il a une unité, et parce qu’il est une unité, dans la mesure où il a, aurait, un rôle déterminant dans l’unité matérielle, cosmique, vitale. C’est dire que Dieu, lui, n’a pas une unité simple, dans la mesure où il se définirait alors tant par son rapport à ce qu’il est que par son rapport avec tout ce qu’il n’est pas mais a rapport avec lui. De ce point de vue, nous pouvons avoir une intuition d’une telle identité/unité, mais en aucun cas une compréhension réelle, puisque nous sommes structurellement limités par notre perception, quand il ne connaîtrait aucune limite, ce qui nous conduit à penser que nous ne pouvons pas nous représenter une telle existence. La concentration du Divin en un être qui est une Unique-Unité aura souvent été conçu et «vécu» comme la désertion du Divin de tout ce qu’il n’est pas, ce qui est un problème théologique, philosophique, spirituel, majeur. En effet, dans les cultes dits monothéistes, tout ce qu’il n’est pas, l’Univers lui-même, toutes les choses, nous, proviennent de lui, et donc sont une part de cette Unique-Unité. Or, de la part d’un certain nombre de membres des organisations dites monothéistes, on a pu assister, historiquement, à des violences, voire à des destructions, réalisées, contre de telles parts, parties de. C’est là que l’on peut comprendre, mesurer, que ces monothéismes où le Divin est réservé à Dieu est une conception intellectuelle, qui n’a pas une base sociale, populaire, mais qui provient de clercs en proie à des difficultés et des contradictions. Il faut dire que, dans le monothéisme tel qu’on nous parle de celui-ci, avec des cultes, comme le Christianisme, les Christianismes en fait, l’Islam, les Islam en fait, le Judaïsme, les judaïsmes en fait, ces contradictions existent, notamment sur le principe même. En effet, ces cultes sont parfois strictement manichéens, c’est-à-dire qu’ils opposent un Bien et un Mal, et donc, ils ne sont pas monothéistes, puisque, pour être monothéiste, il faut croire en un Principe Universel qui n’a aucune force contraire. Évidemment, être manichéen est une possibilité, un droit, et beaucoup le font, ce choix, mais dans ce cas, on peut même dire qu’ils sont polythéistes, puisqu’il croit en deux Divinités suprêmes. Le fait que l’une soit dite bonne et que l’autre soit dite mauvaise, et que, les adeptes disent, évidemment, sauf exception, vénérer celle qui est bonne, ne change rien à l’affaire. Dans l’authentique mono-théisme, il y a une seule Unique-Unité. Le Manichéisme est à la fois la Contradiction même, et le danger le plus grand. Pourquoi ? Si Mani, au 3ème siècle après Jésus Christ, a pu donner une forme spécifique à un principe de croyance selon lequel le réel est structuré par un conflit constant entre deux forces égales, le Bien et le Mal, au point que cette confrontation porte dans notre langue le nom de manichéisme, ce principe existait antérieurement à Mani, dans deux courants majeurs reliés, l’un largement oublié, l’autre devenu au contraire très célèbre, le Gnosticisme d’un côté, et le Christianisme de l’autre. C’est donc dans la culture hébraïque que le pré-manichéisme a été conçu et s’est diffusé. C’est dans le Gnosticisme qu’il a pris corps. Là encore, le langage est constamment un problème, parce l’expression d’unité/unicité, le «gnosticisme», est, historiquement, nécessairement, une illusion, dans la mesure où il prétend synthétiser une multitude de courants, différents, voire, divergents, mais qui ont toutefois une racine commune, absolument unique dans l’Histoire des peuples. En effet, avec ces cultes divers et ces cultes de la diversité elle-même, les autres peuples ont exprimé un rapport d’affection, d’appréciation, voire, de vénération, pour cet Univers qui est la maison des Humains, dans lequel les fruits, les fleurs, les formes de vie animales, nous donnent tant, tout. Avec ce mouvement gnostique également si divers, il y a une nouveauté historique, qui est une «bombe», dans tous les sens du terme : tant l’Univers que notre condition, ontologiquement matérielle, corporelle, tout est mauvais, parce que tout cela a le malheur d’être placé sous la tutelle d’un Dieu mauvais, malfaisant. Si on traduisait aujourd’hui dans un langage qui parle à des Chrétiens, on dirait que, pour ces Gnostiques, il n’y a que Satan, et il est partout, et il se fait plaisir. » Dans son ouvrage, dans son propos, P. Thiellement se situe à l’intérieur de cette Tradition, en la considérant comme, existante, signifiante, valable, ce qu’il fait également dans son récent essai, «Sycomore Sickamour». Pour rendre intelligible la série «Twin Peaks », bien connue pour son apparent ésotérisme, comme dans les films de David Lynch, Pacôme Thiellement démontre que les images Lynchiennes s’expriment/s’expliquent par des références culturelles, gnostiques, que ces images sont l’expression de ces références, de ces croyances, avec ces objets-symboles, la Rose, la Bague, le Feu, l’Echiquier, le Journal Intime, le Pendentif, avec d’autres. Dans «Twin Peaks», la difficulté pour un spectateur dont la conscience a été formée dès son plus jeune âge par ce «lieu d’envoûtement et d’empoisonnement psychique» ou «réceptacle de magie noire le plus puissant» de notre époque, la «Télévision», réside dans le dédoublement généralisé, et notamment l’autre dimension «irréelle» (et pourtant, selon le récit, la plus déterminante), la «Black Lodge», espace où les lois de l’Univers semblent nulles ou différentes. En raison de cette mise en relation de la réalité et d’une autre réalité, la série est explicitement «fantastique» quand les autres ne le sont pas (à tous les sens du terme), et, pour le téléspectateur/veau, elle est insensée, nulle, inintelligible. Mais, dans ce dédoublement, faut-il considérer que le récit, d’un réalisateur américain, auteur de la série avec son co-scénariste, est simplement manichéen, comme le sont les récits américains lambda, diffusés partout ? Si, dans la «Loge noire», le Mal qui advient ici a sa source, la Loge Noire, telle qu’elle est explicitée par la sagesse amérindienne, n’est pas le «lieu du Mal», comme l’enfer chrétien, dans la mesure où il n’y a pas de Dieu-du-Mal. Pourquoi ? C’est que, d’une manière inédite, un récit américain met en scène le Gnosticisme, source du Manichéisme, pour le contredire : c’est dans l’Imaginaire, en tant que représentantion-du-monde, que le Mal prend corps, pour aboutir à son action fétiche, le crime. Dans «Twin Peaks », l’agent Cooper/Lynch enquête sur le crime, le fait et sa racine, la volonté de. Cette série, américaine, interroge le crime, en tant que principe, historique, anthropologique, «spirituel », principe américain. Pourquoi ce monde produit des «crimes en série», avec des serial killer, ce qu’est «Bob», le véritable tueur de Laura Palmer ? Une des réponses de la série est de donner un nom à un goût, cannibale, de «la douleur et du chagrin», Garmonbozia. Dans la Loge Noire, le lieu où se détermine la perception, la vision, le sens, du «monde», en tant qu’américain, c’est ce goût pour la souffrance et la mort des autres, qui devient la loi de. Et c’est pour cela que la série de Lynch n’est pas une œuvre télévisuelle, enfermée dans des boites, numériques. Il s’agit d’une pensée et d’une expression, philosophiques, qui, identifient et mettent en cause, une logique qui confond civilisation et barbarie. Pacôme Thiellement a donc absolument raison quand il invite à prendre connaissance d’un «fragment de 1921 nommé Le Capitalisme comme Religion, Walter Benjamin (…) émet l’hypothèse que le capitalisme constitue en lui-même un phénomène religieux», et, en l’espèce, au coeur de ce phénomène religieux archaïque, le Sacrifice. Il ne faut donc pas s’étonner que dans un pays considéré comme parmi les plus chrétiens du monde, la religion explicite, le Christianisme, censé mettre fin au sacrifice inter-humain, enveloppe, justifie, la religion implicite, le Capitalisme, qui continue de sacrifier des vies, par milliers, par millions. Dans «Twin Peaks», le propos, unique, anti-américain, demande clairement : jusqu’à quand ? Jusqu’à quand des Laura Palmer seront assassinées, réellement ou dans les «fictions», si liées aux morts réelles, jusqu’à quand une jeunesse innocente et belle sera détruite par cette logique sacrificielle qui entend partager la Gormonbozia, en tant que Cène maudite ?